Le 4 avril 1988, Kemper Arena, Kansas City

1988 : Mitterand entame son deuxième mandat. La guerre froide est toujours là, même si ça commence à sentir le sapin pour l’Union Soviétique. Michel Drucker a toujours la même coupe de cheveux et plus incroyable encore, TF1 diffuse du basket!

Et oui le basket a le vent en poupe depuis les exploits en Coupe d’Europe des clubs français (triplé historique en coupe Korac de 1982 à 1984 grâce à Limoges et  Pau). Le championnat national est fort et les joueurs emblématiques ne manquent pas (Dacoury, Ostrowski, Hufnagel…). La NBA, quant à elle, commence à être connue grâce à George Eddy et Canal+. Le basket français commence à se professionnaliser (création du Comité des Clubs de Haut Niveau, ancêtre de la LNB). La ProA (ou plutôt la N1A) va signer son premier contrat TV d’envergure durant cette saison 87-88 avec Antenne 2 qui se proclame “la chaîne du basket”. Les dirigeants de TF1 qui sentent qu’un truc se passe, et qui ne sont jamais les derniers à prendre le train en marche, décideront de diffuser plusieurs matchs lors de cette fameuse émission “Minuit Sport”. Au vue de cette soudaine flambée médiatique, certains pensaient que la balle orange deviendrait le sport numéro un en France au 21ème siècle. 30 ans plus tard on se rend compte de l’ampleur du crash industriel.

Mais revenons à cette finale. La première chaîne, c’est à son honneur, n’a pas fait dans la demi-mesure en programmant l’intégralité du Final Four. Les matchs sont en différé, les commentaires de Pierre Toret plus que baroques et la NCAA doit autant parler aux français de l’époque que la vie sexuelle de la grenouille aux yeux rouges du Costa Rica ! Mais nous, spectateurs du futur, ne boudons pas notre plaisir avec ces deux superbes équipes que sont Oklahoma et Kansas !

Il faut se lever tôt pour enrayer l’attaque des Sooners

Oklahoma est incontestablement le grand favori de ce match. Classé 4ème au niveau national par Associated Press, ils ont dominé l’excellente conférence Big 8 dont fait également partie leur adversaire du jour Kansas (qu’ils ont battu à deux reprises cette saison). L’équipe coaché par Billy Tubbs, l’homme qui a totalement relancé le programme basket des Sooners, joue un basket ultra-énergique fait d’avalanche de points (102,9 points par match, 2ème au niveau national) et de press tout-terrain. Les adversaires d’Oklahoma ont dérouillé toute la saison (21,9 points d’écart de moyenne) avec quelques branlées mémorables de 50 points et plus!

"Stacey King au coup-franc" . Les commentaires de Pierre Torret vous feront crouler de rire ou saigner les oreilles, au choix.

“Stacey King au coup-franc” . Le vocabulaire basketballistique  de Pierre Toret vous fera, au choix, mourir de rire ou saigner des oreilles.

Le cinq majeur est ultra complet avec le duo d’arrières Ricky Grace (15.1 points, 7.5 passes, 2.8 interceptions) et Mookie Blaylock (17 pts, 5.9 passes, 3.7 interceptions). Ces deux joueurs sont le premier rideau de la press diabolique des Sooners qui génère plus de douze interceptions par match! Le jeu intérieur est encore plus impressionnant avec le meilleur marqueur Stacey King (21.7 points, 8.5 rebonds, 2.8 contres) et Harvey Grant (21.2 points, 9.9 rebonds) dont la bobine doit vous dire quelque chose car il en existe un autre exemplaire  du coté des Bulls de Chicago.  Le cinq est complété par le polyvalent ailier Dave Sieger très précieux de loin (69 sur 173 à trois points sur la saison). Quand on sait que coach Tubbs consigne ses titulaires plus de trente minutes sur le parquet, avec un tel rythme de jeu, on imagine la condition physique extraordinaire de ses joueurs.

Le championnat a été une formalité (30v-3d) et le tournoi NCAA est une promenade de santé avec des victoires contre Chattanooga (+28), Auburn (+20), Louisville (+10) et Villanova (+19). La route semble définitivement dégagée après leur victoire en demi-finale contre leur adversaire restant le plus dangereux, les Arizona Wildcats, défait 86-78 malgré un grand Sean Elliott (32 points, 11 rebonds).

Alors mission impossible pour Kansas ? Ca y ressemble fort ! Il faut tout d’abord essayer de résister au pressing défensif pour ne pas perdre de ballons et ensuite ralentir le jeu et défendre le plomb pour gripper la machine offensive des Sooners. La défense ? C’est justement le point fort de Kansas !

La défense et Danny Manning, les deux mamelles de Larry Brown

Bonne nouvelle, Kansas joue à domicile lors de ce Final Four ! Un gros avantage pour une équipe qui n’a respiré la sérenité en 87-88.

L’effectif se compose de bons joueurs, solides et valeureux comme le meneur Kevin Pritchard (10.8 points) l’ailier Milt Newton (11,2 points, 4.8 rebonds) et l’intérieur Chris Piper. Mais enfin, bon, pas de quoi casser trois pattes à un faucon.

-"On se calme! On se calmeeeeeeeee!!!!!! ON SE CALMMEEEEEEEEEEEEEE!!!!" -"Arrêter de paniquer coach, c'est juste une finale NCAA. Par contre, çà pourrait vous être utile quand vous entrainerez Allen Iverson."

-“On se calme! On se calmeeeeeeeee!!!!!! ON SE CALMMEEEEEEEEEEEEEE!!!!”
-“Arrêtez de paniquer coach, c’est juste une finale NCAA. Par contre, gardez ça pour plus tard,  ça pourrait vous être utile quand vous entraînerez Allen Iverson.”

Ah si! Ils possèdent bien un cap, une île, une péninsule en la personne de Danny Manning. Capable de jouer intérieur comme extérieur, incroyablement rapide et excellent manieur de ballon pour un joueur de sa taille (208 cm), il est le prototype des grands ailiers modernes. Trop rapide pour les intérieurs adverses et trop grand pour être contenu par les extérieurs, il est une source de match-up permanent pour la défense adverse.

Meilleur marqueur, rebondeur, contreur, intercepteur, pourcentage aux tirs et deuxième passeur (ouf!) de Kansas, c’est peu dire qu’il est la plaque tournante du système de Larry Brown. La défense est très bonne (68.9 points encaissés) mais l’attaque n’est pas au niveau, trop dépendante du rendement de Manning. A l’inverse de Billy Tubbs, coach Brown fait énormément tourner son effectif, onze joueurs ont eu droit a plus de dix minutes de moyenne sur l’année. L’inévitable Danny étant  le seul qui joue plus de trente minutes par match.

Le coach de Kansas est loin d’avoir vécu une saison rose bonbon et papillon. Pronostiquée comme un des candidats au titre, son équipe se gaufre lors des deux premiers matchs de la saison. Plus tard,  Les JayHawks connaîtront une infamante série de cinq défaites consécutives, principalement contre leur adversaire direct de la division Big 8. Il est clair que ça la fout mal. De plus,  l’équipe perd deux titulaires : l’ailier Archie Marshall se fusille les ligaments du genou en décembre et le pivot Marvin Branch est déclaré inéligible académiquement après 14 matchs (ah, le fameux règlement NCAA…).

La saison semble compromise et la dernière année de Danny Manning gâchée jusqu’à ce que l’équipe relève la tête et se qualifie pour le tournoi NCAA. Auteur d’un bilan plus que moyen (18v-12d) et ne rentrant même pas dans le top 25 NCAA, pas grand monde ne mise un kopeck sur eux pour la victoire finale lors du March Madness.

Ils frisent d’ailleurs la correctionnelle au second tour contre la modeste équipe de Murray State (61-58). Il se débarrasse ensuite de Vanderbilt grâce à un grand Manning (38 points). Le derby contre Kansas State, qui a dominé les JayHawks deux fois sur trois dans la saison, va-t-il mettre fin à l’embellie ? Que Nenni ! La défense fait merveille et Mitch Richmond est cloisonné (victoire 71-58), même tarif pour Duke et Danny Ferry qui coule en demi-finale dans une Kemper Arena surchauffée.

Kansas, miraculé du tournoi, peut-il aller au bout de l’exploit ?

Aux commentaires pour TF1, Pierre Toret et l’international limougeaud Jean-Michel Sénégal.

L’effectif des Oklahoma Sooners (entre parenthèses la position et l’année d’étude des joueurs)

Stacey King (C, Jr.)

Harvey Grant (F, Sr.)

Mookie Blaylock (G, Jr. )

Ricky Grace (G, Sr.)

Dave Sieger (F, Sr.)

Terrence Mullins (G, Fr.)

L’effectif des Kansas JayHawks:

Scooter Barry (G, Jr.)

Jeff Gueldner (G, So.)

Keith Harris (F, So.)

Mike Maddox (F, Fr.)

Danny Manning (F, Sr.)

Lincoln Minor (G, Jr.)

Milt Newton (F, Jr.)

Clint Normore (G, Jr.)

Chris Piper (F, Sr.)

Kevin Pritchard (G, So.)

Les anecdotes autour du match:

La tête de Jean-Michel Sénégal en incrustation, était-ce vraiment nécessaire? Même si Pierre Toret n’y connait rien en basket, il reste plus supportable à écouter que Christian Jean-Pierre durant un match de foot…
Larry Brown ira coacher les San Antonio Spurs la saison suivante. Il retrouvera Danny Manning aux Clippers quelques années plus tard et réussira à qualifier cette équipe, nullissime depuis des années, en playoffs deux années de suite ! Sacré lui… Danny Manning sera le premier choix de la draft 1988. Il ne sera pas épargné par les blessures au cours de sa carrière NBA (Clippers, Hawks, Suns, Bucks, Jazz, Mavs et Pistons). Ce match est une belle occasion pour voir ce qu’il pouvait faire en pleine forme.
Beaucoup de joueurs connus des fans de NBA participent au match, outre Manning, Stacey King (6ème choix de draft 1989) a été triple champion avec les Bulls, Mookie Blaylock (12ème choix de draft 1989) a fait une belle carrière notamment du coté d’Atlanta, Harvey Grant (12ème choix de draft 1988) a bourlingué du coté de Washington et de Portland. Harvey et son frère jumeau Horace ont joué une saison ensemble à l’Université de Clemson avant que le premier ne se fasse transférer à Oklahoma. Le fils de Harvey, Jerami Grant joue actuellement sa saison rookie chez les Sixers. Drafté au second tour, il a pas mal de temps de jeu (6.2 points, 2.9 rebonds en 20 minutes) dans l’opération “On tanke comme des porcs pour récupérer le premier choix de draft” de Philadelphie.
Pierre Toret l’a bien vu, les joueurs de Kansas joue avec un petit bandeau noir sur la bretelle du maillot. Mais personne n’est mort, c’est juste un hommage à Archie Marshall, le blessé malchanceux de la saison. Larry Brown dira par la suite qu’il fut une inspiration pour toute l’équipe. Manning portera notamment un poignet avec le numéro 23 (celui d’Archie Marshall) à tous les matchs.
Kevin Pritchard et Milt Newton sont plus connus aujourd’hui pour leur carrière de dirigeants que pour leur carrière de basketteur pro. Pritchard a été général manager des Blazers et depuis 2011, celui des Pacers d’Indiana. Newton a travaillé au sein de la NBA et a été un des artisans de la création de la D-League. Il a été embauché en septembre 2013 comme général manager des Wolves de Minnesota.
Joueur du banc de Kansas, Richard “Scooter” Barry est le premier fils de la légende Rick Barry. Il est le seul parmi ses frères (Jon, Brent, Drew) a ne pas avoir joué en NBA, ce qui ne l’empêchera pas de faire une longue carrière professionnelle de 17 saisons autour du monde (Allemagne, Espagne, Italie, Belgique, Australie). Il fera même un tour du coté de la France, passant par Mulhouse en Pro B et Cholet en Pro A, où a plus de 35 ans, il fera encore parler sa vista et son talent. Un joueur de grande classe.

Box score du match.

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